Une farine artisanale façonnée de richesse patrimoniale
Le meunier Réjean Labbé élabore une farine artisanale dont le procédé de transformation est digne du patrimoine immatériel du Québec
Le meunier Réjean Labbé élabore une farine artisanale dont le procédé de transformation est digne du patrimoine immatériel du Québec

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Cet article fut publié en exclusivité sur Mordu.ca le 27 février, 2021.

Plaquette de bois à la main, semblable à celle d’un peintre, le meunier Réjean Labbé entame une chorégraphie de gestes qui ont pour but transformer des céréales anciennes de certification biologique de la région de L’Islet en farine artisanale.

À l’aide de ses sens beaucoup plus qu’avec sa force physique, Réjean élabore ce que plusieurs boulangers, pâtissiers et cuisiniers du Québec considèrent comme une farine artisanale d’exception.

Le meunier Réjean Labbe
Le meunier Réjean Labbe élabore des recettes de farines à partir de grains anciens dans un moulin patrimonial à Saint-Roch-des-Aulnaies en Chaudière-Appalaches.

 Si on change toujours notre recette de farine, les boulangers s’adaptent à chaque fois , m’explique M. Labbé alors qu’il s’apprête à me dévoiler les secrets de sa recette de farine blanche non blanchie. Ils recherchent la qualité, mais surtout de la stabilité. Un résultat qui débute aux champs avec les agriculteurs, auprès de qui il entretient des relations très étroites.

Transmission des savoirs menacée

Cette valse de gestes qui assure une régularité dans les recettes du meunier, Réjean l’exerce plusieurs fois par jour, depuis plus de 30 ans maintenant. Elle fut apprise du meunier avant lui, un savoir issu d’une transmission orale dans cet endroit précis, depuis plus de 350 ans.

Malheureusement, ce savoir est appelé à disparaître, selon celui qui dirige la Corporation touristique de la Seigneurie des Aulnaies, André Anglehart. Cet organisme à but non lucratif veille à la sauvegarde et la mise en valeur de ce site historique et patrimonial situé à Saint-Roch-des-Aulnaies, dans la région de Chaudière-Appalaches.

Selon M. Anglehart, il faut vite déterminer un modèle de formation pour assurer la relève des meuneries artisanales afin de protéger cette richesse de notre culture alimentaire au Québec. Plusieurs ont tenté l’expérience, souligne-t-il, mais peu demeure en raison des exigences physiques du travail de meunier.

Ce n’est pas évident de trouver de la relève, car ce sont surtout des moulins artisanaux. Si on veut préserver ce patrimoine immatériel-là, il faut faire les efforts supplémentaires pour permettre la transmission de ce savoir-faire, sinon il va disparaître. -André Anglehart, directeur de la Corporation touristique de la Seigneurie des Aulnaies 

Une fois les grains moulus, la mouture tombe dans une jupe, remonte par des alivettes jusqu’au bluteau dans lequel se trouve un tamis. Cet outil sépare les cinq composantes du blé : la fine fleur, la farine à pain, le gru blanc, le gru rouge et le son.

Savoirs anciens, modernes

Malgré le temps qui passe et la pression de l’industrialisation de l’alimentation, peu de choses ont changé dans la technique de fabrication de la farine moulue sur meule de pierre du moulin banal de la Seigneurie des Aulnaies.

Les meules sont activées par la force des eaux des rivières Le Bras et Ferrée, qui s’écoulent dans les 60 godets de la roue, qui amorce son mécanisme. Reconstruite en 1980, la roue est malheureusement en arrêt depuis 2017, car désuète. En ce moment même, les opérations de meuneries sont assurées grâce à l’électricité.

Toutefois, un appel d’offres pour sa reconstruction est éminent. Selon les échéanciers, elle devrait être de retour en fonction en octobre 2021. Avec ses 24 pieds de haut et 6 pieds de large, elle retrouvera son titre de plus grande roue à moulin à eau en activité au Québec.

 Ça aussi, ça fait partie de la transmission des savoirs anciens, exprime André Anglehart qui occupe aussi le poste de président de l’Association des moulins du Québec. Il est d’avis que lorsque l’on témoigne de la façon dont est fabriqué un aliment, on le respecte davantage. Naturellement, on le gaspille moins.

Lorsqu’un touriste vient ici et voit la roue en fonction, il est en mesure de mieux comprendre le produit qu’il a entre les mains et l’importance de préserver les savoir-faire reliés. -André Anglehart, directeur de la Corporation touristique de la Seigneurie des Aulnaies 

Un sac de farine à pâtisserie de la Seigneurie des Aulnaies, une denrée rare et convoitée par la pâtissière amateur que je suis.

Valeurs nutritionnelles et gustatives supérieures

Éclipsés en raison de l’industrialisation de l’alimentation, ces savoirs sur lesquels veille le moulin banal de la Seigneurie des Aulnaies sont pourtant très modernes. Ici, chaque étape dans l’élaboration d’une farine a un impact important sur la valeur nutritive et gustative du produit fini.

D’abord, il y a la distance entre le lieu de production et le moulin. Les céréales proviennent d’agriculteurs de la région de L’Islet, acheminées au moulin ensachées ou en vrac. Toutes sont certifiées biologiques. Les meules sont faites de pierre de silex et de quartz. La surface rugueuse des meules broie les grains des céréales tout en conservant les cinq composantes de ces derniers.

La mouture sur pierre permet donc de conserver la fraîcheur, le goût ainsi que les valeurs nutritives des grains. C’est une méthode de transformation qui s’avère un élément déterminant de la qualité de la farine.

Contrairement aux méthodes industrielles, le germe demeure intact. C’est la présence de ce germe dans la farine qui la promeut au statut d’intégrale , la reine des farines de blé. Il est quasi impossible d’éliminer complètement le son de la farine lorsqu’elle est moulue sur meule de pierre. Le son de blé est une des parties les plus nutritives, car il est concentré en fibres alimentaires.

Une farine produite de façon artisanale aura toujours une valeur nutritionnelle beaucoup plus importante. -André Anglehart, directeur de la Corporation touristique de la Seigneurie des Aulnaies 

Disparu du marché pendant plusieurs décennies, le moulin fait aussi revivre les variétés de blé Marquis et Huron, deux variétés anciennes oubliées et propres à de notre culture identitaire, dont on vante les qualités protéiques rares.

Toutefois, ce n’est pas parce que le grain est ancien que les valeurs nutritives sont supérieures. C’est d’abord et avant tout une question de goût!

La couleur dorée de la recette de farine blanche non blanchie révèle un parfum naturel de noisette d’un air d’été tout léger, tout léger. Ces caractéristiques plaisent à de nombreux boulangers au Québec, dont Charles Létang de la Boulangerie Du pain c’est tout. Sa cuisine de création est voisine du moulin.

Charles travaille exclusivement avec la farine de la Seigneurie des Aulnaies. Il façonne donc des pains de pays ancrés dans le territoire. Son croissant au beurre de Saint-Jean-Port-Joli vaut à lui seul le détour à Saint-Roch-des-Aulnaies !

Grâce aux savoirs du meunier Réjean Labbé, à des artisans boulangers soucieux de mettre en valeur la richesse d’un terroir comme Charles Létang, à l’action bénévole citoyenne, aux institutions gouvernementales, ainsi qu’aux consommateurs avides de plaisirs vrais dans l’assiette — c’est nous, ça, chers gourmands! —, notre riche et savoureux patrimoine, ainsi qu’un pan historique de notre identité culinaire, sera préservé.

Seigneurie des Aulnaies
525, route de la Seigneurie, Saint-Roch-des-Aulnaies
laseigneuriedesaulnaies.qc.ca

Boulangerie Du pain c’est tout
525, r oute de la Seigneurie, Saint-Roch-des-Aulnaies
boulangeriedpct.squarespace.com

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